Le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche a suscité de vives protestations et d’importantes mobilisations dans la communauté de la recherche et de l’enseignement supérieur. Saisi en urgence par le gouvernement dans le cadre des consultations obligatoires sur un tel texte, le CESE a voté le 24 juin à la quasi unanimité un avis très critique dont les préconisations rejoignent largement les attentes des personnels. Un autre avis, plus large, voté le 22 septembre en confirme et développe le contenu
Après l’annonce par le gouvernement en février d’un projet de loi et les mobilisations qui se sont manifestées, le CESE avait pris la décision de se saisir du sujet sans attendre la saisine gouvernementale. La section des Activités Économiques a donc été chargée de préparer un avis en collaboration avec la section Éducation, Culture et Communication. Une cinquantaine de personnes ont été auditionnées, depuis la ministre jusqu’aux représentants des personnels en lutte et un avis a été élaboré qui sera voté en séance plénière le 22 septembre. Mais entre temps le projet de loi a été rendu public et une série de consultations obligatoires ont été conduites par le gouvernement au pas de charge, caricaturant ce qu’on peut attendre d’un dialogue social et d’un dialogue civil loyaux et efficaces. Le CESE a donc dû rendre un avis dans les quinze jours mais il a pu s’appuyer sur le texte déjà préparé en concentrant son propos sur la programmation financière et l’emploi. C’est cet avis, dont la rapporteure est Sylviane Lejeune (CGT), qui a été voté par 192 voix pour et 17 abstentions ( dont 15 CFDT)
Il souligne dans sa conclusion qu’on ne peut pas “soigner un système avec les outils qui l’ont rendu malade”. Exprimant “la conviction que la qualité et l’attractivité de notre recherche reposent non pas sur la mise en concurrence mais sur des investissements ambitieux, sur la confiance faite aux équipes, sur la collaboration de personnels stables et payés à la hauteur de leurs qualifications, disposant de moyens suffisants, de temps et d´un environnement de travail de qualité« , le texte démonte la plupart des arguments de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il propose, à l’inverse des orientations gouvernementales, un ensemble de préconisations qui répondent largement aux attentes de la communauté de la recherche et aux besoins de notre société face aux enjeux qui sont devant nous et que la crise sanitaire vient de souligner.
Ces préconisations mettent en avant 4 axes : un investissement important pour la recherche publique (6 milliards d´euros d’ici 2022 pour atteindre 1% du PIB et une programmation au delà de cette date pour maintenir ce taux d’effort), un rééquilibrage massif des financements en faveur des dotations de base des laboratoires plutôt que les appels à projets, un plan pour l’emploi scientifique avec des recrutements de titulaires (5000 à 6000 par an sur 5 ans) pour répondre aux besoins et contribuer à résorber la précarité, une revalorisation indiciaire des rémunérations des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Il ajoute que le financement de la recherche ne doit pas laisser de côté celui des autres missions des universités qui doivent être financées à la hauteur de leur besoins réels. Affichant son soutien au statut de fonctionnaires, il marque son opposition à des formes nouvelles de précarité et rejette les contrats de mission et les « tenure tracks » prévus dans le projet.
L’avis voté le 22 septembre reprend ces grandes orientations en les inscrivant dans un cadre plus large qui traite de la place de la recherche dans la société. On y retrouve des analyses et des préconisations qui portent sur la sitaution et le devenir des docteurs, les SHS, la place des femmes dans la recherche…Il reprend également et développe des propositions qui figuraient déjà dans l’étude » sciences et société » (voir lettre 27 de février 2020) par exemple sur la déontologie ou sur la culture scientifique. Et il consacre tout un développement au financement des universités sous le titre « l’enseignement supérieur doit devenir une priorité pour la nation » : il préconise notamment que » les subventions pour charges de service public 6 soient calculées en tenant compte de la réalité de l’ensemble des besoins : le nombre d’étudiants; les objectifs de diplomation; l’évolution de la rémunération des personnels; l’entretien du patrimoine immobilier; la capacité d’investissement » et fait une critique sévère de la politique de concentration : « notre assemblée interroge le modèle de concentration et de mise en concurrence qui domine actuellement les politiques de l’enseignement supérieur, au détriment d’une coopération équilibrée et respectueuse » Cet avis, rapporté également par Sylviane Lejeune a été voté par 176 voix et 2 abstentions
Même si ces avis ne sont que consultatifs, les représentants de la société civile ont ainsi donné un signal fort aux personnels mobilisés contre le projet de LPPR qui peuvent retrouver dans ces textes la légitimation de leurs revendications et un point d’appui pour poursuivre leur action. Le gouvernement et le parlement doivent maintenant entendre ce que disent ainsi non seulement les personnels de l’Enseignement supérieur et de la Recherche mais aussi l’essentiel des forces vives de ce pays.
Gérard Aschieri
pour en savoir plus et lire l’avis du 24 juin : ici
lire l’avis du 22 septembre : ici
Ci dessous la déclaration que j’ai faite en séance en tant que représentant de la FSU le 24 juin et celle faire par Bernadette Groison le 22 septembre
« Je crois que nous pouvons nous féliciter d’avoir anticipé en préparant un avis sur la recherche qui sera soumis au vote en septembre ; car le travail ainsi réalisé nous permet de répondre à la saisine gouvernementale avec un texte de qualité. Et nous devons en remercier la rapporteure et l’administration de la section qui ont travaillé efficacement dans des conditions difficiles.
En effet alors que le projet de LPPR était annoncé dès le début de l’année il a fallu attendre le mois de juin pour que son texte soit rendu public et que les consultations soient menées à la hâte, dans des conditions contraires à ce qu’on peut attendre d’un dialogue social et d’un dialogue civil sérieux.
Représentant de la FSU je trouve que cela s’apparente à un inadmissible coup de force et la raison de cette hâte est sans doute la volonté de passer outre l’avis largement majoritaire de la communauté de la recherche.
Celle-ci est en attente d’une politique qui rompe avec celles qui ont conduit à un décrochage de notre recherche par rapport à d’autres pays ; or elle est confrontée à un projet qui, en dépit de quelques améliorations ponctuelles, n’est pas à la hauteur des besoins et qui en fait conforte les choix qui ont conduit à des impasses.
Pour répondre aux besoins de la société, aux défis qui nous attendent, aux risques que met en lumière la crise sanitaire mais aussi pour être attractive, notre recherche a besoin de financements importants qui rattrapent son retard et la mettent au niveau des pays les plus avancés ; elle a besoin d’ambition ; elle a besoin de confiance et de liberté. Les personnels de la recherche ont besoin de stabilité et non de formes inédites de précarité, de travail collectif et non de concurrence permanente ; ils ont besoin d’un environnement de travail de qualité, de reconnaissance de leur qualification et de leur travail par une vraie revalorisation.
Le projet d’avis dont nous débattons – et encore plus celui qui sera soumis au vote en septembre- le montre et il trace les grandes lignes de ce qu’il faut faire :
*d’abord un effort d’investissements massifs ;
*ensuite le nécessaire rééquilibrage entre financements sur appels à projet et dotations de base qui doivent être considérablement augmentées, ;
*troisièmement la demande de recrutements massifs de titulaires, d’une revalorisation significative et le refus du développement de la précarité ;
*enfin- et c’est important- l’affirmation qu’il est indispensable que l’investissement dans la recherche s’accompagne d’un financement de la mission d’enseignement des universités à la hauteur des besoins.
C’est donc sans hésitation que je voterai ce texte. »
Bernadette Groison
» L’avis présenté aujourd’hui offre un diagnostic précieux sur l’état préoccupant de la recherche dans notre pays. Le sous investissement y est patent. Parmi les grands acteurs mondiaux de la recherche, la France est le seul pays dont l’effort en ce domaine n’a pas progressé ces dernières années. L’engagement de 5 milliards d’euros sur 10 ans prévu par le gouvernement ne permettra pas d’y remédier comme cela a été dit ici même à la Ministre le 24 juin dernier.
Alors que nous sommes en pleine crise sanitaire et sociale, qu’il est question de relance, comment pourrions-nous négliger l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Il est urgent d’engager des stratégies de développement au regard des enjeux de société, des nombreux défis (notamment ceux de la transition écologique et de la transformation numérique) qui sont devant nous. Cet avis permet de préciser la nature des investissements qui sont pour cela nécessaires notamment l’augmentation des budgets, le rééqulibrage entre crédits de base et financements par appels à projets et la création d’emplois stables, permanents et de qualité. Car l’enseignement supérieur est le secteur de la Fonction publique de l’État où il y a le plus de précarité. C’est préjudiciable tout d’abord à ces personnes, souvent des jeunes docteurs hautement qualifiés, mais aussi à la recherche: instabilité permanente pour des travaux qui doivent pouvoir s’inscrire dans la durée, perte de compétences, d’expertise… Pour la recherche, le Statut général des fonctionnaires est aussi une garantie de stabilité d’indépendance et donc de qualité des travaux produits. Autant d’ options cruciales pour l’avenir de la recherche dans notre pays qui répondent aux attentes exprimées massivement par les personnels .
Les débats liés à la crise de la Covid 19exigent d’entendre l’appel de cet avis pour «la maîtrise sociale des enjeux scientifiques et technologiques» indispensable aux choix démocratiques que nous avons à faire. Pour cela, n’oublions pas de renforcer la culture scientifique dans notre pays. Les carences en ce domaine conduisent, ou du moins contribuent, à une défiance préjudiciable voire dangereuse. La question de la place des sciences humaines et sociales en est un enjeu important.
Enfin, la FSU, se retrouve pleinement dans la nécessaire reconnaissance des personnels d sans qui, dans des conditions pourtant difficiles, la recherche française n’existerait pas. Il faudra d’ailleurs, comme le souligne l’avis, s’attacher à faire de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans ce secteur une réalité.
Il est temps de donner l’élan nécessaire à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est pourquoi représentant la FSU je ne peux que souscrire à cet avis éclairant et porteur de propositions d’avenir . En le votant j’espère qu’il sera suivi d’effet. »